Incendie et dispersion atmosphérique des fumées

Les équipes de l’Ineris spécialistes du risque incendie et de la qualité de l’air, ont été sollicitées pour simuler le panache des fumées, sa dispersion dans l’air et les retombées au sol. Ces simulations sont notamment utiles pour l’élaboration d’un plan de prélèvement d’échantillons, afin d’évaluer les conséquences de l’incendie.

Caractériser l’incendie : l’enjeu de déterminer le « terme source »

Pour anticiper les effets d’un phénomène dangereux pouvant survenir sur une installation industrielle (explosion, incendie, fuite de produits toxiques), on a recours de façon courante à des simulations. Une première étape indispensable pour réaliser ces simulations est de construire ce qu’en jargon technique on appelle « un terme source ». Le terme source établi par l’Ineris constitue un point de départ pour l’évaluation des conséquences de l’accident de Lubrizol.

Qu’est-ce que le « terme source » ?
Le terme source désigne l'ensemble des caractéristiques qui permet de décrire et qualifier un rejet, i.e. la libération d’une ou plusieurs substances chimiques (sous forme de fluide) dans l’environnement, que cette émission soit d’origine accidentelle ou issue du fonctionnement normal d’une installation.
Dans le cas de l’incendie de Lubrizol, construire le terme source revient à estimer, de manière dynamique, la quantité et la composition des fumées qui ont pu s’en dégager.

 

Le terme source dépend de plusieurs facteurs, déterminés en premier lieu à partir des informations connues sur le stockage : nature des produits, quantités stockées, répartition des produits dans le lieu de stockage, conditions dans lesquelles les produits sont stockés... Ces informations jouent un rôle capital, à la fois pour déterminer la quantité et la composition des fumées.

Elles sont nécessaires, mais elles ne sont pas suffisantes : il faut ensuite estimer comment ces produits vont se décomposer sous l’effet de l’incendie, à quelle vitesse ils vont brûler et enfin, quelle énergie ils vont libérer. On s’intéresse alors aux caractéristiques dites « thermocinétiques » de l’incendie, à savoir la puissance d’incendie, la vitesse de combustion, la hauteur de flamme, la température, l’émittance de flamme (capacité à produire de la chaleur). Par ce biais, on détermine le débit et la température de fumées, la vitesse et la hauteur d’émission.
La ventilation de l’incendie est également un facteur qui peut influencer à la fois la quantité et la composition des fumées (la plupart du temps, plus un incendie d’hydrocarbures est ventilé, meilleure est la combustion et moins elle émet de polluants).
Tous ces éléments ont servi de données d’entrée, pour réaliser une simulation du panache des fumées de l’incendie de Lubrizol.

Sur quelles données d’incendie construire le terme source ?
En situation d’urgence, les experts de l’Ineris s’appuient sur les indications fournies par les équipes d’intervention sur place et sur leur expérience de terrain. Ces grandeurs sont également estimées via l’expérience que l’Ineris a acquise depuis près de 30 ans, par le biais de travaux expérimentaux, à petite ou moyenne échelle. Lors d’essais réalisés sur des produits représentatifs de ceux qui sont stockés sur les sites industriels (nature et conditionnement notamment), l’Ineris mesure de nombreuses grandeurs caractéristiques, permettant de construire le terme source d’un incendie. L’Institut est aussi en mesure de prendre en compte certaines spécificités du stockage (incluant la nature du bâtiment), qui peuvent faire varier significativement le terme source (sa puissance, sa durée ou la nature des produits de décomposition).
L’Institut mène en parallèle depuis de nombreuses années des études scientifiques à taille réelle sur sa plateforme incendie, pour mieux comprendre les mécanismes physiques et chimiques qui entrent en jeu lors d’un incendie.

Derrière la simulation des fumées, plusieurs modèles

Une fois construit le terme source, l’Ineris a pu « modéliser » le panache de fumée produit par l’incendie de Lubrizol. Ce travail de simulation est nécessaire pour définir la stratégie à adopter, pour gérer au mieux les suites de l’incendie. Connaître la trajectoire du panache a par exemple, permis d’élaborer un premier plan de prélèvement d’échantillons de dépôts de fumée, première étape pour évaluer les conséquences en matière de santé et d’environnement

Qu’est-ce que la modélisation ?
La modélisation est une approche scientifique qui consiste à construire, à l’aide d’équations mathématiques, la représentation la plus fidèle possible de la réalité. S’appuyant sur les technologies informatiques, les travaux de modélisation intègrent couramment ces équations dans des codes de calcul numérique. La modélisation permet de produire une simulation de la réalité, qui peut être affinée en intégrant des données issues d’expérimentations ou de mesures de terrain.

 

L’Institut a combiné plusieurs types de modèles numériques de dispersion atmosphérique pour fournir l’estimation des retombées de fumées de l’incendie du site de Lubrizol : des codes de calcul dits « courtes distances », sur 1 à 20 km, et un modèle permettant de simuler le transport du panache sur des distances supérieures à 20 km.

Afin de simuler la dispersion du panache dans l’air aux alentours du site (distance < 10 km), l’Ineris dispose d’outils « simples », pouvant être mis en œuvre rapidement (par la CASU de l’Institut, notamment), pour donner des premiers ordres de grandeur. Ces outils permettent :

  • d’évaluer les flux thermiques associés au rayonnement des flammes. Ces valeurs sont utiles aux services de secours, pour protéger les intervenants sur le site, mais aussi pour prévenir les risques de propagation de l’incendie liés à un échauffement excessif d’équipements à risque (effets dits « dominos ») ;
  • d’évaluer la concentration en fumées toxiques qui peut présenter un risque pour les personnes, à l’intérieur ou à proximité du site. Ces calculs permettent aux autorités de prendre des mesures adaptées pour protéger les intervenants et les riverains (confinement ou évacuation, par exemple) ;
  • de donner une première estimation de la zone de dépôt de particules de fumées.
[Illustration] Première modélisation réalisée lors de l’appui CASU pour Lubrizol
[Illustration] Première modélisation réalisée lors de l’appui CASU pour Lubrizol

 

Des modèles « courte distance » plus complexes
L’incendie de Lubrizol a donné l’opportunité à l’Ineris de tester des outils de simulation plus complexes, en 3D, qui prennent en compte les spécificités d’une installation et son environnement immédiat (relief, présence d’obstacles...). Leur mise en œuvre est plus longue que les outils simples, mais à l’échelle d’un incendie comme celui de Lubrizol, il est possible d’utiliser ces modèles de dispersion « courte distance » pour faciliter les investigations post-accidentelles, car ils permettent de qualifier finement les zones autour du site où les dépôts de fumées pourraient être les plus importants.

maillage réalisé pour la ville de Rouen, dans la direction de dispersion du panache

[Illustration] Maillage réalisé pour la ville de Rouen, dans la direction de dispersion du panache

 

En complément des modèles de dispersion de proximité, l’Ineris a mis en œuvre des modèles simulant l’influence du panache sur une distance un peu plus longue, dans les 20 premiers kilomètres, là où les impacts sont supposés être les plus importants. L’intérêt de ces modèles est de permettre de prendre en compte la variabilité des conditions météorologiques au moment de la dispersion des fumées, ainsi que la topographie du terrain (dans le cas où le relief est susceptible d’influencer le panache).

Les modélisations de premier niveau ayant révélé que la distance sur laquelle le panache s’était transporté pouvait être supérieure à 20 km, un autre modèle de plus grande échelle, Chimere, a été mis en œuvre par l’Ineris.
Chimere est un modèle de chimie et de transport atmosphérique originellement utilisé pour prévoir la qualité de l’air. Une version permettant de simuler le comportement de sources accidentelles, telles que les incendies, a été développée par l’Ineris. Cette version a été utilisée dans le cas de Lubrizol, mettant en évidence le possible transport et dépôt à longue distance des suies émises par l’incendie

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[Illustration] Carte de dépôts de suie (PM10) simulés par CHIMERE

 

A quoi sert la modélisation : exemples d’application dans le cadre de l’expertise Ineris
De nombreuses disciplines scientifiques ont recours à la modélisation, pour travailler sur leur objet d’étude, en complément des méthodes dites "expérimentales" (tests de laboratoire, essais à échelle réelle...). Cette approche mathématique est désignée par des termes différents selon les domaines de la science : « modélisation », « simulation », « projection », « méthode prédictive », « méthode in silico » (en référence au silicium des composés informatiques). La modélisation est l’une des spécificités de l’expertise Ineris, qui constitue une référence pour les acteurs du risque industriel et environnemental.
•    L’Institut étudie la modélisation des phénomène dangereux (incendie, explosion, dispersion toxique), pour anticiper les effets d’un accident industriel et permettre la mise en place des moyens de prévention appropriés. L’Ineris travaille en particulier sur des modèles complexes, s’appuyant sur des technologies 3D. En complément de la simulation des phénomènes dangereux, l’Institut est également en capacité de modéliser l’aptitude des structures bâtimentaires à résister à ces mêmes phénomènes ;
•    L’Ineris développe des modèles de qualité de l’air, qui fournissent des projections de la pollution atmosphérique sur l’ensemble du globe à différentes échelles de temps (de quelques jours à un siècle). Le modèle Chimere co-développé depuis 2001 avec le CNRS, est notamment utilisé pour la prévision des pics de pollution à l’ozone et aux particules ;
•    L’Institut étudie la modélisation moléculaire, pour prédire les propriétés dangereuses des substances chimiques (inflammabilité, explosivité, toxicité, écotoxicité...). Les méthodes in silico sur les substances ont une utilité supplémentaire en ce qu’elles sont des méthodes dites « alternatives », par rapport à la question de l’expérimentation animale ;
•    Les travaux de modélisation de l’Institut dans le domaine de santé servent à cartographier l’exposition des populations aux contaminants présents dans l’environnement (« dose externe ») et faire le lien avec l’assimilation de ces mêmes polluants dans l’organisme humain (« dose interne ») ;
•    Au plan environnemental, l’Ineris s’intéresse à la modélisation de l’exposition des écosystèmes aquatiques ;
•    L’Institut travaille à modéliser les phénomènes de mouvement gravitaire (i.e. lié à l’attraction terrestre), pour prévenir les risques d’effondrement de vides souterrains (cavités, activités extractives...).